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Presquevoix...
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22 octobre 2021

Le compartiment couchette

Marie s’était fait un ami du présent - le passé, oublié, le futur, lui, ne l’intéressait pas - et ses cinq sens lui donnaient une intensité qu’il n’avait jamais eu auparavant.

Ce soir là, quand elle s’installa dans le train couchette qui la menait à Foix, elle sentit une odeur particulière, peut-être de la cannelle et du gingembre se dit-elle. Elle regarda attentivement les couchettes. Une seule était occupée, celle du haut, par un homme dont elle ne voyait que le dos. Elle se plaça en bas.

Dès qu’elle fut allongée, l’homme lui dit d’une voix grave.

-          Vous avez remarqué l’odeur ?

-          Oui, je dirais Cannelle et gingembre.

-          Bravo. La cannelle vient directement de Ceylan, Le gingembre d’Inde. Je reviens d’un grand voyage et je repars pour un petit voyage, à Foix.

Soudain il descendit de sa couchette pour s’asseoir en face d’elle. Etrange. Avait-il abusé de ses épices ?

-          Ne vous inquétez pas, je n’ai aucunement abusé du gingembre qui, par ailleurs, n’est pas l’aphrodisiaque que l’on dit. Par contre, ses vertus anti-inflammatoires, antiseptiques et antiémétiques  sont moins connues.

Elle se força à sourire et ajouta.

-          Merci de votre cours sur les épices. De toute façon, je ne prends jamais de gingembre. La cannelle oui, par contre, parfois.

Son voisin de compartiment avait certainement plus de cinquante ans. Grand, mince, le visage long et des yeux gris, aussi gris que ceux de la mer par temps d’hiver. Elle n’avait aucune peur particulière mais elle se demandait ce qui le poussait à rester assis sur sa couchette et à l’observer.

-          Vous aussi vous voyagez, alors ? Foix, en cette période de l’année n’acceuille pas les foules.

-          Non, mais j’y ai de la famille.Vous aussi ?

-          Pas vraiment. Mais vous savez, l’Ariège est le royaume des Cathares !

-          Et ?

-          Et donc, quelques groupes, que certains non initiés disent sectaires, y ont trouvé refuge. Je me demandais si par hasard, vous…

-          Pas du tout, l’interrompit-elle aussitôt. Bon, vous m’excuserez, je vais me m’allonger car j’ai très mal dormi la nuit passée.

Le visage de l’homme sembla se tendre légèrement. Mais ne l’avait-elle pas imaginé ?

-          Au fait, ajouta-t-il, si vous avez des problèmes de sommeil, je connais des guérisseurs, en Ariège même, non loin de Foix.

Avant de le remercier en précisant qu’elle dormait très bien, en général,  elle sentit un stress intense et son accélération cardiaque l’effraya. L’homme lui dit une dernière chose avant que le train ne parte.

-          Excusez-moi de vous ennuyer à nouveau. J’ai remarqué que votre visage exprimait une lassitude, comme si un poids vous rendait triste, très triste. Pour ça aussi, je connais une épice, mais nous en reparlerons demain. Bonne nuit mademoiselle.

Personne ne revit jamais Marie après ce voyage qui, peut-être, dure encore…

 

PS : prochain texte, mardi deux novembre.

 

19 octobre 2021

Le stage

Le nouveau stage de quatre heures organisé par l’entreprise  dans laquelle elle travaillait s’intitulait : la découvrabilité. Stage obligatoire, donc impossible d’y échapper à moins d’avoir un certificat médical. Mais loin était le temps du lycée où elle faisait défiler les certificats médicaux truqués comme elle faisait défiler les copains qui lui plaisaient  A trente ans passés, impossible d’y échapper. Sans doute dormirait-elle un peu en laissant les yeux ouverts, comme elle savait si bien le faire à chaque stage obligatoire. Et, à  la fin des quatre heures, elle demanderait à son amie Sophie si des choses intéressantes s’étaient dites.

Le stage avait commencé par un petit tour de table où elle avait gentiment participé et ensuite, le sommeil était venu. Il faut dire que la nuit précédente l’avait épuisée. Victor – son amoureux du moment  - n’était pas un « bon coup » – selon Sophie – mais il avait une attention et une justesse des gestes que nul autre n’avait. Résultat : Victor durait et son sommeil se raréfiait.

A la fin du stage, dans la salle déserte, l’intervenant lui tapa sur l’épaule pour la réveiller et lui dit.

-          Ce stage semble vous avoir épuisé. C’est fini depuis 10 minutes. J’ai eu le temps de ranger mes affaires et vous dormiez toujours. Votre amie Sophie n’a pas voulu vous réveiller. Elle m’a dit que vous aviez des nuits courtes en général.

Elle rougit. Lui ne dit rien et se contenta de l’observer.

-          Sans doute la fougue de la jeunesse. Profitez de vos nuits, jeune fille. A votre âge, elles sont plus belles que vos jours, sans doute.

-          Merci, de même, lui dit-elle en se rendant compte que les cheveux de l’intervenant étaient d’une blancheur éblouissante.

Il ajouta amusé.

-          Merci, mais moi, la nuit, je dors et le plus longtemps possible. Dormir la nuit, c’est ma cure de jouvence à moi.

Il lui sourit et  partit avec son sac à dos rouge où il était écrit en lettres noires « vivre et se réinventer »…

 

PS : prochain texte, vendredi.

 

16 octobre 2021

L’ascension

Certains disaient qu’il était vaniteux, d’autres le croyaient frustré – sa petite taille ne le conduisait-elle pas à détester le monde ? Certains affirmaient qu’il avait déjà fait une tentative de suicide, d’autres ajoutaient que son enfance en HLM avait  certainement greffé en lui ce désir de grimper, encore et toujours ; mais grimper pour faire quoi, exactement ?  Des cyniques soulignaient qu’à force de vouloir conquérir le monde, de lire des biographies de Napoléon et de mettre en place son canon à boules de feu, il finirait par détruire les murailles que lui-même dressait. Et qu’arriverait-il ensuite ?

PS : prochain texte, mardi.

12 octobre 2021

Le travail

Un nouveau vaccin venait d’être créé par le laboratoire pharmaceutique « Number one » : le vaccin anti-déprime. Un vaccin que seuls les pays occidentaux pouvaient acheter : extrêment cher, mais extrêmemnt utile aussi. Notre état néo-libéral le finançait, mais les grands patrons apportaient  leur soutien. Pourquoi ? Parce que non seulement le vaccin éffaçait toutes les déprimes possibles et imaginables mais, par ailleurs, il donnait au travailleur un regain d’énergie au travail. Et si, par hasard, le travailleur concerné était au chômage, sa vitalité et son désir de travailler était tels, qu’il s’avérait capable d’ accepter tout travail quel qu’il fût, même à un salaire nettement inférieur. Mais - et notre président E. Cromanu n’en parlait pas – si la déprime disparaissait, l’un des effets secondaires du vaccin anti-déprime pouvait être la mort.  Parce que oui, le travail peut tuer, mais cela avait-il une quelconque importance ? Plus de décès rapides ne voulait-il pas dire aussi, moins de retraites à financer ?

PS : prochain texte, samedi.

9 octobre 2021

L’exutoire

Quand il allait voir sa mère en maison de retraite –  une fois tous les quinze jours, jamais moins - il en ressortait épuisé, tellement épuisé qu’il avait décidé de passer à une visite une fois par mois.

Sa mère était une reine déchue, « aveugle » et autoritaire. Elle imaginait encore que  ses sujets la réverraient. Et, comme la reine d’Alice au pays des merveilles, elle coupait la tête de ses sujets s’ils osaient s’opposer à sa volonté. Son peuple de serviteurs était bête bien sûr, vieux - mais c’était le peuple de l’EHPAD* – et  ne méritait aucunement qu’elle prenne ses repas avec lui. Elle prenait déjeuner et dîner dans sa chambre ; le miroir que le peuple lui tendait l’affectait trop. Elle préférait cette chambre royale où seuls ses soignants et soignantes lui rendaient visite pour lui donner son sérum de longévité.

Son fils – qui vieillissait bien plus vite qu’elle -  se demandait combien de temps cette reine vivrait et, combien de jours et de mois, l’exutoire qu’il était devenu, pourrait supporter de rester une fois par mois dans cette chambre d’attente de la mort…

 

* établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes

PS : prochain texte, mardi.

5 octobre 2021

Changer

Chargée de la rédaction d’argumentaires et d’éléments de langages stratégiques pour les cabinets ministériels, elle avait quitté récemment son travail pour devenir éditorialiste dans un journal de province. Sa mère s’était étonnée d’un tel changement. Son père aussi, mais comme à son habitude il n’avait rien dit. Par contre son frère, lors d’un repas d’anniversaire, s’était autorisé à lui demander.

-          Alors, tu as divorcé du monde politique ?

Agacée – il faut dire que leur relation avait toujours suivi un sentier périlleux – elle avait répondu.

-          Eh oui. Comme tu aurais pu me le dire - mais c’est moi qui le dis à ta place - je suis tombée sur un ministre haut placé qui croyait que parce que je baisais les électeurs avec des éléments de langage, je pouvais le baiser, lui aussi, mais sans être rémunérée.

Son frère resta silencieux, surpris de cette répartie qui était si loin du monde où elle avait choisi de vivre.

-          Tu ne dis rien ? Ajouta-t-elle.

-          J’avoue que j’en reste coi. Oui, j’aurais pu penser ça, c’est vrai. Mais je ne te l’aurais pas dit. Tu connais mes opinions sur les hommes qui nous gouvernent…

Elle sourit. C’était bien la première fois qu’elle lui clouait le bec. Soudain - presque inquiète - elle se demanda quelle route elle suivait...

 

PS : prochain texte, samedi.

2 octobre 2021

Le feu

Il en était à sa troisième église et à son premier carmel. Ces incendies le mettaient en joie. Il se contentait de lieux inhabités où messes, religieuses, curés et paroissiens avaient disparu à jamais. Déserté, le catholicisme tombait en ruines, donc qu’importait que les toitures s’effondrent après les flammes qu’il allumait de ses longues mains fébriles.

Les églises, il ne les avait jamais aimées, non qu’il ait été, un jour, victime d’un prêtre pédophile, mais l'évangile avait terrorisé son enfance. Sa grand-mère – lorsqu'elle le gardait – l’obligeait à lire une page de l' évangile selon Saint Mathieu chaque jour. Pourquoi  Saint Mathieu ? Sans doute parce que son mari, mort en Algérie, s’appelait Mathieu.

A chaque fois que l’incendie commençait, il hurlait : « Satan en a décidé ainsi, et Satan, c’est moi ». N’était-ce pas ce que disait sa grand-mère à sa mère.

-          Ton fils, c’est Satan personifié ! Il est comme son père, il obéit à rien !

Il avait, d’une certaine façon, répondu  à l’appel du feu pour purifier sa vie de paumée, une vie qui le poussait à aller de ville en ville, lui qui pourtant avait fait des études. Il se disait  charpentier, comme le père de Jésus ; d’ailleurs lui aussi s’appelait Joseph…

PS : prochain texte, mardi.

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