Elle est assise sur sa chaise face au bureau. A gauche, la fenêtre laisse passer un havre de lumière mais elle ne peut faire un mouvement. Son regard fixe le cahier de mathématiques ouvert à la page du problème. Les doigts aux ongles rouges se croisent et se décroisent. Elle respire à peine. Les nombres aussi se croisent et se décroisent sur le cahier d’exercice, l’énoncé du problème glisse sur les lignes blanches, son esprit se brouille et elle ne voit plus rien. la femme assise à côté d’elle la rappelle à l’ordre.
- Alors, ça vient ?
La petite fille ne répond pas. Elle voit les ongles longs et rouges s’impatienter sur le bureau mais elle ne trouve rien à répondre, le vide.
- Alors, tu réponds oui ou non ?
Cette fois ci, elle n’y échappera pas, il lui faut trouver une réponse qui autorisera une respiration, un répit avant le drame. A toute force son intelligence imagine une question qui lui laissera le temps de comprendre l’énoncé.
- Mais maman, je ne comprends pas pourquoi….
- Quoi ? Tu n’as pas encre compris ? Mais tu le fais exprès ? Tu ne risques pas d’aller jouer avec tes copines. Tant que tu n’auras pas terminé ce problème tu resteras là, même si ça dure jusqu’à ce que ton père rentre !
La sentence est tombée : pas de problème résolu, pas de jeu. Et son père ? Que dira-t-il ? Pourquoi la torture-t-elle ? Pourquoi n’a-t-elle pas le droit de ne pas comprendre ? Est-ce que ses copines passe aussi leur temps courbées sur leurs devoirs ?
- Relis-moi tout de suite ce que dit l’énoncé et change de tête, hein, sinon je sens que je vais m’énerver !
L’enfant entend le battement des ongles pointus sur le bureau et elle n’ose pas la regarder. Elle sait d’avance que ses yeux noirs l’étrangleront. Mais pourquoi s’acharne-t-elle ? Il faut qu’elle trouve le courage de lui dire quelque chose.
- Mais maman, c’est pas ma faute si…
- C’est jamais de ta faute. Tais-toi ou je te gifle !
La petite fille se replie sur sa chaise et son regard s’arrête sur le problème de mathématiques. Elle ne peut plus rien déchiffrer, les lettres semblent s’aligner pour ne former aucun mot. Un larme roule sur l’énoncé. De peur d’être grondée, elle la frotte rapidement de sa manche, mais deux lettres disparaissent en laissant de longues traînées noires. Sa mère crie.
- Ca c’est trop fort ! Maintenant tu pleures ! Arrête ou je te gifle !
L’enfant essaie de ravaler ses larmes, mais rien n’y fait.
- Relis l’énoncé à voix haute ! Ne crois pas que tu vas t’en sortir avec des larmes !
Elle ânonne le problème, hache les mots, répète les syllabes qui ne forment plus qu’une bouillie verbale. Une fois arrivée au bout, sa mère tempête.
- Maintenant, réponds et cesse de sangloter ou… je ne sais pas ce qui me retient de te la donner !
- C’est pas ma faute maman…
- Tiens, prends ça si c’est pas de ta faute !
La gifle la déséquilibre et sa tête heurte le radiateur. Elle se retrouve au sol, la chaise renversée, le cahier à ses pieds. Sa tête lui fait mal, mais plus que la douleur, c’est l’injustice qui lui martèle douloureusement les tempes. Elle entend un claquement de porte et la voix qui hurle en s’éloignant.
- Mais qui est-ce qui m’a fichu une fille pareille ! Je vous le demande !
Elle est seule dans le silence de la chambre. Elle déteste l’école. Elle la déteste !